Remédier au problème de l’abordabilité du logement est essentiel pour le Canada. De nos jours, il est devenu tellement cher de posséder une habitation dans certaines villes que la seule option viable pour beaucoup de gens est de louer. Les taux d’inoccupation ont été faibles ces dernières années, et les locataires qui emménagent dans un nouveau logement doivent assumer une grosse augmentation de loyer. À long terme, nous avons besoin d’une croissance forte et durable de l’offre de logements locatifs.
Cependant, la participation du secteur privé suscite de nombreuses réserves. Beaucoup craignent que les propriétaires-bailleurs privés imposent des loyers élevés ou profitent de leurs locataires. Dans ce contexte, les logements locatifs fournis par le gouvernement ou le contrôle des loyers sont vus comme des solutions. Les préoccupations exprimées sont-elles valables, et les solutions proposées conviennent-elles? Que nous dit la recherche sur l’augmentation de l’offre de logements locatifs dans le secteur privé et la protection des locataires?
Selon nos recherches, aucune preuve solide n’indique que la propriété par le secteur privé a entraîné une augmentation indue des loyers. De plus, selon des rapports publiés ailleurs dans le monde, le contrôle des loyers risque même de réduire l’offre de logements à long terme. Des enquêtes récentes montrent que le taux annuel d’expulsions de locataires au Canada se situerait entre 1 et 3 %. Il est important d’assurer une protection efficace des locataires, tout en favorisant les investissements du secteur privé dans le marché locatif.
Comment le secteur du logement locatif a-t-il évolué au fil du temps?
La construction de logements locatifs a augmenté ces dernières années et a atteint des niveaux qui ne s’étaient pas vus depuis les années 1970. Elle était nettement insuffisante depuis plusieurs dizaines d’années. Cependant, en rajustant le rythme actuel de la construction en fonction de la population (voir le graphique ci-dessous), nous constatons qu’il ne représente encore que la moitié de celui des années 1970. L’ampleur de la pénurie de logements est trop importante pour que les gouvernements puissent y remédier seuls. Il faut accroître les investissements privés dans le logement locatif.
Par le passé, la baisse de la construction de logements locatifs était attribuable à l’absence de grands investisseurs. Les villes canadiennes où les logements coûtent cher ont donc dû compter sur de petits investisseurs pour fournir des logements locatifs. Selon les données de la SCHL, la proportion d’appartements en copropriété qui ont été loués a plus ou moins doublé au cours des 15 dernières années. Mais avec l’essor de la construction de copropriétés pendant la pandémie, il y a maintenant un risque à court terme que l’offre de logements locatifs devienne trop grande.
Cette offre excédentaire pourrait accroître l’abordabilité à court terme, mais à long terme elle découragera la construction de logements locatifs (et d’appartements en copropriété abordables pour les propriétaires-occupants). Une telle baisse de la construction risque d’entraîner une nouvelle hausse des coûts du logement lorsque la croissance économique et démographique se redressera. Cette succession de hausses et de baisses est caractéristique des villes dont le système d’offre de logements ne répond pas aux besoins. Il faudra des capitaux plus importants sur des horizons à long terme pour soutenir la croissance de l’offre de logements locatifs et d'appartements en copropriété.
Le marché locatif privé soulève des craintes
Préoccupés par la hausse des loyers, beaucoup de gens préconisent le contrôle des loyers afin d’améliorer l’abordabilité et de protéger les locataires. D’autres s’opposent à la financiarisation du logement en avançant que les investisseurs privés profitent des locataires en les expulsant. Bien que la financiarisation n’ait pas de définition normalisée, elle a trait aux préoccupations concernant la propriété privée des immeubles locatifs. L'offre limitée de logements locatifs incite davantage les propriétaires à profiter de leurs locataires. Les moins scrupuleux sous-investissent et expulsent des locataires pour profiter de la hausse des loyers résultant de la pénurie.
Des questions importantes préoccupent les locataires :
- Abordabilité : Les locataires doivent avoir accès à d’autres logements abordables si leur revenu ou la taille de leur famille augmente. Ils ont aussi besoin que l’augmentation du loyer de leur logement demeure limitée.
- Stabilité : Il est inutile pour les locataires d’obtenir un appartement abordable s’ils en sont expulsés peu de temps après.
- Qualité : Les logements doivent être en bon état.
Que pouvons-nous apprendre de l’expérience des autres pays sur la façon d’atteindre un juste équilibre? Ce qu’on observe ailleurs permet de nuancer notre analyse. La Suède contrôle les loyers de très près mais a de longues listes d’attente pour les appartements locatifs. À Tokyo, par contre, le contrôle des loyers est limité, les mesures de protection des locataires sont solides et l’offre de logements locatifs est abondante.
Que sait-on au sujet des répercussions du contrôle des loyers et de la financiarisation?
Certaines préoccupations au sujet des logements locatifs du secteur privé sont légitimes. Pour y répondre, il faut cependant se doter d’instruments de politique appropriés et fondés sur des données probantes. Sans de tels outils stratégiques, nous risquons de rendre la construction de logements locatifs moins attrayante pour les investisseurs.
À l’origine, le contrôle des loyers a été instauré pour remédier à ce qui était considéré comme des hausses de loyer excessives. Selon de récents travaux de recherche, les politiques de contrôle des loyers à San Francisco ont fait diminuer l’offre de logements locatifs de 15 %, ce qui a mené à une hausse de 5 % des loyers dans l’ensemble de la ville. À moyen terme, le contrôle des loyers a aussi accru de 20 % la probabilité que les locataires choisissent de ne pas changer de logement. C’est une arme à double tranchant. Le côté positif, c’est d’avoir évité que des ménages à faible revenu soient déplacés. Par contre, certains auraient bénéficié d’emménager dans des logements mieux adaptés à leurs besoins ou situés plus près de leur lieu de travail.
À la SCHL, nous avons entrepris une vaste analyse documentaire sur les effets du contrôle des loyers. La conclusion de dizaines d’articles publiés dans le monde est que le contrôle des loyers a d’importantes conséquences :
- réduction de la qualité des logements;
- baisse de l’offre;
- entretien insuffisant;
- avantages plus importants pour les ménages à revenu élevé que pour ceux à revenu faible.
Il y a toutefois des exceptions, des cas où la réglementation des loyers était bien conçue et permettait de préserver les avantages qu’il y a à soutenir le bon fonctionnement du marché locatif. Au Canada, cet équilibre semble généralement avoir été atteint au Québec. Dans cette province, on a pu trouver un bon équilibre entre l’augmentation de l’offre de logements locatifs et la protection des locataires. Les logements locatifs y sont aussi abordables qu’à Edmonton, où il n’y a pas de contrôle des loyers.
Certaines inquiétudes concernant la financiarisation semblent aussi être injustifiées. Nous avons cherché à savoir si les loyers étaient plus élevés dans les immeubles locatifs appartenant aux fiducies de placement immobilier que dans les autres – une préoccupation importante chez les personnes qui s’opposent à l'investissement privé. La conclusion, en bref, est que ce n’est pas le cas. Si les loyers y sont plus élevés, c'est généralement pour des raisons financières valables : immeubles plus récents, logements plus grands, frais d'électricité inclus, etc. En outre, ces immeubles ont tendance à se trouver dans des quartiers ayant un potentiel de croissance élevé ou offrant de nombreuses commodités.
Selon les données récentes de l'Enquête canadienne sur le logement et de l’Enquête sociale canadienne, le taux annuel d’expulsions de locataires au Canada se situerait entre 1 et 3 %. Ces chiffres pourraient légèrement sous-estimer le nombre total d’expulsions. Bien que le problème des expulsions mérite notre attention, leur nombre pourrait ne pas être aussi élevé que ce que certaines personnes le laissent.
Le marché locatif comporte des différences et donc des risques potentiellement différents
Pour évaluer l’efficacité du système locatif, il est important de tenir compte des différences au sein même du secteur. Ce dernier est composé des logements locatifs du marché « primaire » et du marché « secondaire ». Les immeubles du marché locatif primaire sont ceux qui étaient à l’origine destinés à la location. Ils sont généralement financés et exploités par de grands investisseurs. Le marché locatif secondaire englobe les appartements en copropriété achetés par des investisseurs individuels qui les offrent en location.
Ces petits investisseurs aident à financer la construction d’appartements en copropriété. Les copropriétés, relativement plus abordables que les logements en propriété absolue, sont souvent la première étape pour les locataires qui achètent leur première habitation. Ces derniers libèrent ainsi des logements locatifs pour de nouveaux locataires à la recherche d’options abordables. Tous ces immeubles contribuent à accroître la densité résidentielle dans nos villes et à économiser sur les coûts des terrains et des infrastructures. Les appartements en copropriété pourraient toutefois ne pas répondre aux besoins des grandes familles.
Malheureusement, la stabilité d’occupation est sans doute moins grande pour les locataires sur le marché secondaire. Selon l’Enquête canadienne sur le logement de 2021, près des deux tiers des personnes expulsées de leur logement ont déclaré que c’était soit parce que le propriétaire voulait le logement pour son propre usage, soit parce qu’il vendait la propriété. Aucune de ces explications ne s’applique au marché locatif primaire . Il se pourrait donc que les expulsions soient plus préoccupantes sur le marché secondaire que sur le marché primaire.
Encore une fois, il faut trouver un équilibre entre la protection des locataires contre les expulsions trop faciles sur le marché locatif secondaire et le droit des propriétaires d’expulser les locataires sans trop de difficulté ou dans un délai raisonnable en cas de loyers impayés.