
Le présent rapport fait le point sur la création de logements du chaînon manquant depuis 20181 dans les 6 grandes villes du Canada2 : Vancouver, Calgary, Edmonton, Toronto, Ottawa et Montréal. L’analyse repose sur nos données sur les mises en chantier d'habitations3, qui permettent de faire des comparaisons dans le temps et entre les villes grâce à une définition commune.
Les logements du chaînon manquant sont importants, car ils permettent de créer une partie de l’offre de logements dans les quartiers existants. Ils peuvent souvent être réalisés plus rapidement – surtout lorsqu’aucun changement de zonage n’est requis – et nécessitent moins d’investissements en capital que les projets de plus grande envergure. Ils élargissent le choix de logements pour les familles qui trouvent les maisons individuelles trop chères et qui se sentiraient trop à l’étroit dans les appartements des tours d’habitation.
Pour les parties prenantes – surtout les décideurs des municipalités – qui tentent d’encourager la création de logements du chaînon manquant, il peut être utile de comprendre à quel point ce type d’aménagement est répandu dans leur collectivité. Elles peuvent aussi en apprendre davantage sur la forme que prennent ces types de logements, leur emplacement et les raisons qui expliquent les différences régionales.
Qu’est-ce que le chaînon manquant?
Le « chaînon manquant » est utilisé au sens large pour désigner les logements avec entrée privée qui permettent habituellement de réaliser une densité légère à moyenne dans les quartiers. Comme il n’existe pas de définition normalisée, voici les types de logements du chaînon manquant4 dont il est question dans le présent rapport :
- appartements accessoires
- multiplex
- maisons en rangée
- maisons en rangée superposées
- appartements dans des immeubles de faible hauteur (4 étages ou moins)
Dans certaines des grandes villes du Canada, ces types d’aménagements, qui pourraient mieux convenir aux familles que d’autres logements, sont depuis longtemps sous-représentés dans l’offre de logements neufs. C’est pourquoi on parle du chaînon « manquant ».
Nous avons aussi inclus les bâtiments convertis à des fins résidentielles – qu’ils étaient à l’origine résidentiels ou non résidentiels. Toutefois, en raison des limites des données, il n’a pas été possible de ventiler davantage les logements ainsi créés selon le type. Il s’agit donc d’une catégorie de logements distincte dans notre analyse, car souvent les conversions permettent de créer des logements du chaînon manquant grâce à la réutilisation adaptative de bâtiments existants.
Pour obtenir les définitions détaillées de ces types de logements et d’autres concepts, veuillez consulter le glossaire.
Les mises en chantier de logements du chaînon manquant ont augmenté de façon constante dans les 6 grandes villes du Canada, mais cette hausse globale masque d’importantes différences régionales
Les mises en chantier de logements du chaînon manquant se sont accrues en moyenne de 5 % par année de 2018 à 2023. Elles ont ensuite connu une croissance exceptionnellement forte de plus de 44 % de 2023 à 2024 (figure 1).
Les villes des Prairies arrivent en tête pour la construction de logements du chaînon manquant, mais Vancouver et Toronto sont à la traîne
En 2024, la création de près de 21 000 logements du chaînon manquant a été entreprise à Calgary et à Edmonton. Cela représente 67 % des mises en chantier de ce type de logement dans les 6 centres (figure 2). Ces deux villes ont connu une croissance rapide au cours des dernières années. À l’opposé, Vancouver et Toronto ont enregistré le moins grand nombre de mises en chantier de logements du chaînon manquant pendant une grande partie de la période à l’étude.
Dans les villes des Prairies, la croissance démographique provenant de la migration interprovinciale et la demande de logements locatifs ont été fortes. La construction résidentielle s’est donc nettement réorientée vers les logements locatifs. L’abondance de terrains disponibles et le fardeau réglementaire relativement moindre dans ces villes ont soutenu la croissance de la construction de logements du chaînon manquant. Les politiques favorables et les incitatifs sont d’autres facteurs qui y ont contribué, ainsi que la hausse généralisée des mises en chantier d’habitations.
À Vancouver par contre, les mises en chantier de logements du chaînon manquant ont chuté de 56 % de 2018 à 2024. Selon des sources du secteur de l’habitation, les coûts élevés des terrains réduisent la viabilité des petits ensembles résidentiels. C’est le cas dans la majeure partie de la ville, mais surtout dans le centre-ville et aux alentours. Des problèmes semblables sont observés à Toronto. Les deux villes ont depuis adopté des mesures pour améliorer les aspects économiques de ce type d’aménagement résidentiel. Par exemple, Toronto a récemment levé les droits d’aménagement pour les ensembles résidentiels comptant jusqu’à 6 logements (en anglais seulement).
Ottawa et Montréal représentaient ensemble 21 % de la construction de logements du chaînon manquant en 2024. Après les hausses des taux d’intérêt de 2022, ces mises en chantier ont contribué à amortir le ralentissement global de la construction dans ces deux villes. Il est peut-être plus facile de construire de petits bâtiments résidentiels lorsque le contexte est difficile. En effet, ce type de bâtiment nécessite moins de capital et peut, dans certaines circonstances, être plus facile à financer5.
La construction de logements du chaînon manquant est très différente d’une ville à l’autre du pays
Le type et l’emplacement des logements du chaînon manquant varient beaucoup entre les villes. Ils sont influencés par des facteurs comme le coût des terrains, l’expertise des promoteurs et l’évolution des politiques locales.
Les immeubles d’appartements de faible hauteur prédominent à Montréal et, dans une moindre mesure, à Vancouver
Pendant la période à l’étude (de 2018 au deuxième trimestre de 2025), les immeubles d’appartements de 4 étages ou moins sont le type d’immeuble résidentiel du chaînon manquant qui s’est le plus construit à Montréal (figure 3). Ces immeubles font depuis longtemps partie du paysage urbain de la ville. Il continuera probablement d’en être ainsi étant donné les directives sur la densité énoncées dans le Plan d’urbanisme et de mobilité 2050, adopté récemment.
Les immeubles d’appartements de faible hauteur sont souvent construits dans les quartiers du centre‑ville de Montréal et aux alentours. Ils sont devenus très répandus dans ces zones en raison de la forte densité de la circulation, de la proximité des commodités et du zonage historiquement permissif.
À Vancouver aussi, les petits immeubles d’appartements ont représenté une part importante, bien que plus petite, de la construction de logements du chaînon manquant. Contrairement à ce qui est observé à Montréal, ces immeubles sont plus susceptibles d’être construits à l’extérieur du centre-ville. Le coût élevé des terrains au centre-ville de Vancouver fait qu’il est nécessaire de construire des immeubles plus grands pour en assurer la viabilité financière. Cette tendance est conforme aux objectifs énoncés dans le plan d’urbanisme de Vancouver (PDF) (en anglais seulement).
Les logements accessoires sont de plus en plus utilisés pour compenser les coûts d’accession à la propriété à Vancouver
À Vancouver, les logements accessoires sont aussi courants que les appartements dans des immeubles de faible hauteur. Selon une analyse antérieure de la SCHL (PDF), le nombre de maisons individuelles vendues avec des logements accessoires a beaucoup augmenté dans la ville au cours des 20 dernières années. Ces logements sont souvent loués par les propriétaires pour les aider à assumer les frais de possession.
Les maisons en rangée sont le principal type de logement du chaînon manquant qui se construit à Ottawa
Parmi les logements du chaînon manquant qui ont été construits à Ottawa, 61 % sont des maisons en rangée. C’est le pourcentage le plus élevé, tous types de logements du chaînon manquant confondus, dans les 6 villes étudiées (figure 3) pour la période allant de 2018 au deuxième trimestre de 2025. Voici pourquoi :
- Les maisons en rangée sont autorisées depuis longtemps par le règlement de zonage à Ottawa; les obstacles réglementaires sont probablement moins importants pour ce type de logement que pour d’autres.
- La disponibilité de terrains vierges dans les banlieues a permis la création de nouveaux lotissements.
- Les maisons en rangée sont plus abordables que les maisons individuelles pour les jeunes ménages, qui sont de plus en plus nombreux à chercher un logement convenant aux familles.
Ces maisons se construisent surtout dans les banlieues proches et les banlieues périphériques. Toutefois, la Ville d’Ottawa rédige un nouveau règlement de zonage et propose des changements pour encourager l’augmentation de la densité partout dans la ville.
À Calgary et à Edmonton, en plus des nombreux lotissements de maisons en rangée qui sont créés dans les banlieues, des logements intercalaires se construisent rapidement au centre-ville
Les maisons en rangée représentent une part importante des mises en chantier de logements du chaînon manquant à Calgary et à Edmonton, pour des raisons semblables à celles qui ont été évoquées pour Ottawa. Ce type de logement est courant dans les nouvelles banlieues, désignées comme des zones d’expansion dans les plans d’urbanisme de Calgary (en anglais seulement) et d’Edmonton (en anglais seulement).
Toutefois, les deux villes ont déployé des efforts concertés ces dernières années pour accroître légèrement la densité dans les quartiers établis. Nous avons observé ce changement dans les données. Depuis 2024, il y a eu une forte augmentation de la conversion d’immeubles existants dans les quartiers déjà établis, surtout à Calgary. Néanmoins, c’est encore en périphérie qu’il se construit le plus de logements du chaînon manquant.
La conversion d’immeubles résidentiels dans les quartiers établis propulse la création de logements du chaînon manquant à Toronto
Depuis 2024, la conversion d’immeubles existants dans les quartiers établis est rapidement devenue le principal moyen d’offrir des logements du chaînon manquant à Toronto. Cette tendance cadre avec les récentes réformes de zonage à l’échelle de la ville (en anglais seulement), qui permettent de créer jusqu’à 4 logements de plein droit6, ainsi qu’avec la forte demande de logements locatifs.
À Toronto, la disponibilité limitée des terrains non aménagés fait qu’il devient nécessaire d’accroître légèrement la densité grâce à la création de logements intercalaires. Au premier semestre de 2025, les logements dont la création a été entreprise au moyen de travaux de conversion ont été 4 fois plus nombreux que les maisons individuelles et les jumelés mis en chantier sur de nouvelles fondations.
Contrairement à la construction de grands immeubles, qui est concentrée au centre-ville, la conversion d’immeubles dans les quartiers établis se fait dans toute la ville. Ces projets augmentent la densité dans les quartiers qui étaient auparavant composés seulement de maisons individuelles et de jumelés (figure 4). Ils sont aussi concentrés près des principales voies de transport en commun et des commodités.
Figure 4 : À Toronto, les projets de conversion sont plus largement dispersés que les mises en chantier d'immeubles d'appartements de moyenne et de grande hauteur
Part des mises en chantier selon le quartier de la ville de Toronto et le type de projet (2024)
Appartements mis en chantier
(5 étages ou plus)
Mises en chantier résidentielles
issues de conversions
Remarque : Les sous-régions délimitées correspondent aux quartiers définis par la SCHL. Aucune mise en chantier n’a eu lieu dans les quartiers en blanc.
Source : SCHL
Points à retenir et conséquences
Aucune définition universelle de « logement du chaînon manquant » – la définition varie selon la région et l’époque
La définition de « logement du chaînon manquant » varie selon la région et change au fil du temps. Ce manque de cohérence cause des problèmes à plusieurs niveaux, car il entrave :
- la capacité des villes de mettre en commun leurs pratiques exemplaires;
- l’engagement d’un dialogue national sur les interventions visant à accroître ce type de logement;
- le suivi de la croissance du nombre de logements du chaînon manquant.
Une définition commune et uniforme du logement du chaînon manquant aiderait les villes à apprendre de leurs expériences respectives et à mesurer leurs propres progrès au fil du temps.
Les obstacles à l’aménagement de logements du chaînon manquant diffèrent d’un centre à l’autre
Dans certaines régions, comme à Montréal, les logements du chaînon manquant (tels qu’ils sont définis ici) sont déjà bien intégrés aux politiques de densification douce de la Ville et à son parc de logements traditionnels. Les efforts visant à accroître le nombre de logements de ce type pourront mettre à profit la présence de petits promoteurs ayant déjà un intérêt pour la construction d’immeubles d’appartements de faible hauteur.
À Toronto, où les promoteurs sont plus grands et construisent surtout des tours d’habitation, la capacité d’aménager des logements du chaînon manquant a toujours été plus faible que dans d’autres villes. Selon des sources du secteur de l’habitation, les grands acteurs du marché hésitent à investir dans de multiples petits ensembles résidentiels en raison de difficultés particulières, notamment :
- différences dans le zonage et les exigences propres aux sites;
- longs processus d’approbation;
- économies moins importantes que pour la construction de grands ensembles résidentiels.
Le contexte réglementaire est plus favorable qu’avant à l’aménagement de logements du chaînon manquant
Les logements du chaînon manquant pourraient permettre d’accroître les options de logements dans les quartiers existants et la diversité de l’offre. La forte hausse des mises en chantier de logements du chaînon manquant en 2024 et au début de 2025 signale un changement dans le contexte réglementaire. Ce changement est attribuable à des initiatives comme l’adoption récente d’autorisations de zonage de plein droit dans les grandes villes7. Les données sur les permis de construire peuvent être un indicateur avancé des mises en chantier et des travaux de conversion qui aboutiront à la création de logements du chaînon manquant.
À mesure que les marchés locaux s’adapteront aux nouvelles autorisations de zonage, nous prévoyons une hausse du volume de mises en chantier de logements du chaînon manquant. Parmi ces logements se trouvera sans doute une plus grande proportion de multiplex que par le passé, où l’accent était mis surtout sur les logements accessoires. Il devrait aussi y avoir plus de logements créés dans le cadre de projets de conversion, ce qui augmentera le nombre de multiplex et d’immeubles d’appartements de faible hauteur.
Autres aspects à étudier dans l’avenir
Le présent rapport est une autre étape importante dans les efforts de la SCHL pour mieux comprendre la création de logements du chaînon manquant au Canada. D’autres aspects pourraient être étudiés :
- évaluer la faisabilité de la création de logements du chaînon manquant;
- évaluer l’abordabilité et la pertinence de ces logements compte tenu des besoins;
- analyser plus en détail les tendances de l’aménagement à l’échelle des quartiers.
Glossaire
Notes de bas de page
Inscrivez-vous pour recevoir des mises à jour régulières sur le secteur canadien de l’habitation.
Partager par courrier électronique