Introduction
L’accès à un logement abordable est un problème au Canada. La SCHL a montré que, pour y remédier, il faut doubler le nombre de mises en chantier d’habitations au cours de la prochaine décennie. Pour atteindre cet objectif, il faudra bâtir plus intelligemment et plus rapidement, et les gouvernements et le secteur privé devront travailler ensemble. Les gouvernements peuvent améliorer la réglementation, mais le secteur de la construction résidentielle devra investir pour améliorer sa productivité. Quels sont les enjeux actuels en matière de productivité dans la construction résidentielle au Canada et quelles sont les solutions les plus prometteuses?
La productivité mesure la capacité de production, par exemple la quantité de logements générée par heure de travail. Augmenter la productivité ne signifie pas travailler plus d’heures, mais plutôt travailler plus intelligemment. Cela implique d’investir dans les outils et les équipements les plus récents, pour que la main-d’œuvre possède des compétences de haut niveau. C’est aussi utiliser des techniques de gestion innovantes et efficaces et réorganiser les entreprises afin de tirer parti de ces améliorations.
La productivité du secteur de la construction résidentielle a été beaucoup plus faible depuis la pandémie, ce qui a contribué à la baisse de l’abordabilité du logement. Selon les estimations du Centre d’étude des niveaux de vie, la perte de productivité entre 2019 et 2024 a entraîné une augmentation de 6 à 8 milliards de dollars des coûts de construction de logements au Canada. Cette augmentation représente jusqu’à 20 % de la hausse des prix des logements neufs. Stimuler la productivité de la construction résidentielle renforcerait aussi le rendement économique global du Canada. En 2024, la construction résidentielle représentait 4,2 % de l’emploi dans le secteur des entreprises, mais seulement 3,3 % de la valeur ajoutée de ce secteur.
En pratique, le rendement du secteur de l’habitation et les politiques gouvernementales sont interreliés. Les dernières recherches menées aux États-Unis montrent que des politiques inefficaces rendent les entreprises moins disposées à investir dans l’augmentation de la productivité, par exemple dans l’acquisition de nouvelles compétences et de meilleures technologies.
L’amélioration de la productivité dans la construction résidentielle nécessitera un cadre politique efficace, et de nombreux pays y travaillent. La vision est claire : augmenter la productivité et accroître l’offre de logements afin d’améliorer l’abordabilité du logement.
Les gouvernements peuvent jouer un rôle clé en encourageant l’investissement dans les compétences et l’équipement et l’adoption de technologies par le secteur. Ils peuvent aussi démontrer les possibilités offertes par les nouvelles technologies au moyen de projets pilotes. La SCHL l’a entre autres fait dans le cadre de l’Initiative de démonstrations et du Défi d’offre de logement.
En montrant que l’augmentation de l’offre de logements est une priorité à long terme pour eux, les gouvernements peuvent renforcer la confiance du secteur et encourager l’investissement.
La productivité dans le secteur de la construction résidentielle au Canada est faible depuis la pandémie
Au Canada, comme dans de nombreux autres pays, la productivité dans le secteur de la construction résidentielle est faible. La situation s’est aggravée depuis la pandémie. Bien que la croissance de la productivité du secteur ait été relativement forte au cours de la décennie précédant la pandémie, elle s’est par la suite effondrée, comme le montre le tableau 1. Le nombre d’emplois et le nombre total d’heures travaillées ont augmenté plus que la production.
| Période | Croissance de la productivité | Valeur ajoutée réelle | Heures de travail |
|---|---|---|---|
| 2000–2008 | -0,7 % | +5,5 % | +6,3 % |
| 2008–2019 | +1,5 % | +2,9 % | +1,3 % |
| 2019–2024 | -3,8 % | -0,1 % | +3,9 % |
Source : Calculs du Centre d’étude des niveaux de vie fondés sur les données de Statistique Canada
L’économie canadienne est depuis longtemps confrontée à une faible productivité par rapport à celle des pays comparables, et le secteur de la construction résidentielle en est le reflet. Certains défis récents dans le domaine de la construction résidentielle échappent au secteur. L’instabilité macroéconomique découlant de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt, combinée à une chaîne d’approvisionnement mise à rude épreuve par la pandémie, rend la planification des investissements difficile et risquée. La hausse des coûts des matériaux a ajouté à ces difficultés.
Étant donné l’importance de maintenir une main-d’œuvre qualifiée dans le secteur, nous entendons souvent dire que la réduction de sa taille est la toute dernière option. On réduit ainsi le risque que la main-d’œuvre perde ses compétences de façon permanente pendant les périodes de faible demande. Cependant, cette « concentration de main-d’œuvre » réduit la productivité, car la production est moindre pour une même quantité de travail. Il est difficile de maintenir les travailleurs en poste tout au long du cycle économique lorsque la demande de production du secteur est aussi volatile. Cette volatilité décourage les investissements à long terme. Il est donc essentiel de rétablir une croissance économique stable à long terme.
Certaines caractéristiques du secteur ont aussi une incidence négative sur la productivité. Compte tenu de la forte hausse des prix des habitations au cours des dernières décennies, et surtout depuis la pandémie, la nécessité de réduire les coûts de construction n’est peut-être pas claire. Comme les coûts de construction ne sont pas considérés comme le principal facteur des prix des habitations, les architectes et les constructeurs ont peu intérêt à les réduire. Toutefois, étant donné le problème de l’abordabilité du logement, nous avons besoin d’une approche où tout le monde met la main à la pâte et travaille à réduire les coûts du logement.
Nous entendons souvent dire que les constructeurs résistent à la modification de méthodes éprouvées. Les nouvelles technologies sont coûteuses et l’innovation risquée. L’encadré 1 montre comment le Japon expérimente l’utilisation de robots pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans la construction.
L’incertitude quant à la demande future rend difficile l’investissement de la part du secteur, et les avantages de ces investissements sont loin d’être garantis.
Par ailleurs, la concentration du secteur dans certaines villes et provinces limite la possibilité de tirer profit d’investissements risqués dans un marché plus large. Les différences entre les règlements des administrations en matière de logements préfabriqués restreignent la capacité du secteur à réaliser des économies d’échelle.
Encadré 1 : Stratégie du Japon en matière de robotique et d’innovation dans la construction résidentielle
Motivé par la pénurie de main-d’œuvre et un élan national en faveur de la transformation technologique, le Japon est devenu un chef de file mondial dans l’intégration de la robotique à la construction résidentielle. L’initiative i-Construction, dirigée par le ministère des Terrains, de l’Infrastructure, des Transports et du Tourisme, favorise l’automatisation, la modélisation des données d’un bâtiment (BIM) et l’intelligence artificielle dans les projets de logements et d’infrastructures.
Le secteur privé doit aussi innover. La plateforme Smart Construction de Komatsu, soutenue par la recherche et le développement du gouvernement, déploie des bulldozers autonomes, des systèmes de transport robotisés et une cartographie du terrain par drone pour réduire la main-d’œuvre et améliorer la précision.
Par ailleurs, le système Smart Site de Shimizu Corporation utilise des robots autonomes pour le soudage, les installations aux plafonds et le transport des matériaux. Ces robots fonctionnent en synchronisation avec la modélisation des données d’un bâtiment et l’IA, ce qui réduit les tâches répétitives et améliore l’efficacité du chantier.
Quel cadre stratégique serait efficace pour stimuler la productivité de la construction résidentielle ?
Pour promouvoir la croissance de la productivité, les gouvernements peuvent mettre en œuvre des politiques-cadres pour encourager les investissements, l’innovation et l’expérimentation de la part des entreprises. Voici les éléments clés d’un cadre stratégique efficace :
- Encourager les investissements à long terme dans l’innovation et l’amélioration de l’équipement
- Coinvestir pour partager les risques liés à la recherche et au développement
- Réviser les règlements afin de modifier ceux qui nuisent à la productivité
- Perfectionner et former la main-d’œuvre pour qu’elle acquière les compétences appropriées
- Échanger des pratiques exemplaires et de l’information sur les processus de travail efficaces
- Élargir les normes relatives aux données pour améliorer la coopération, la coordination et la planification
- Intégrer des incitatifs dans les programmes pour expérimenter et innover
- Améliorer la transparence et la prévisibilité quant aux besoins de logement
Partout dans le monde, les pays reconnaissent de plus en plus l’importance d’améliorer la productivité dans le domaine de la construction. Bon nombre d’entre eux élaborent des cadres stratégiques pour aider les entreprises de construction à investir dans la technologie et à améliorer leurs pratiques commerciales. La Commission européenne, par exemple, s’est engagée sur cette voie en suivant sa trajectoire de transition pour la construction.
Les différents gouvernements modernisent aussi la construction résidentielle au moyen de politiques ciblées qui accélèrent le rythme, réduisent les coûts et encouragent l’innovation.
Plus loin, Singapour a adopté une série de politiques pour améliorer la productivité de la construction :
- Projet de transformation de la construction (CTP) : Met à l’essai la préfabrication et l’automatisation dans les logements publics.
- Projet d’innovation axée sur la productivité (PIP) : Offre jusqu’à 70 % de cofinancement pour les projets d’ensembles résidentiels qui stimulent la productivité sur le site.
- Panel d’innovation axée sur la construction (BIP) : Accélère l’approbation des nouveaux systèmes de logement.
Au Canada, les gouvernements peuvent montrer la voie en exigeant l’adoption de normes de données et d’outils de planification modernes, comme la modélisation des données d’un bâtiment. Les pays précurseurs, comme Singapour et le Royaume-Uni, imposent déjà des normes numériques pour la construction de logements sociaux (voir l’encadré 2).
Une transparence et une certitude accrues dans la planification encourageraient le secteur à programmer ses activités à long terme. L’analyse des règlements sur le logement effectuée par la SCHL indique que les retards dans l’approbation nuisent à l’abordabilité, notamment en freinant la productivité.
Dans le même ordre d’idées, les gouvernements devraient numériser leurs données et leurs processus afin de créer des systèmes uniformes qui facilitent la gestion des systèmes de permis. Des données normalisées sur la disponibilité, le zonage et le prix des terrains, des systèmes d’approbation et des barèmes de coûts faciliteraient la prise de décisions.
Des règlements normalisés et une mise en œuvre uniforme, par exemple au moyen d’un code du bâtiment uniforme à l’échelle nationale, réduiraient la complexité. Une approche fragmentée augmente les coûts de construction en limitant les économies d’échelle. Une utilisation élargie des analyses coûts-avantages complètes des règlements aiderait à réduire le fardeau de ces règlements.
Par ses recherches, la SCHL a mis en évidence le nombre de logements à construire. Donner confiance au secteur quant à la demande future encouragera la production massive de logements. Dans le budget de 2025, le gouvernement s’est engagé à stimuler la construction résidentielle partout au pays. Cette approche encourage l’adoption de nouvelles technologies qui améliorent la productivité.
Élaborer une perspective nationale sur les projections démographiques, en utilisant davantage d’analyses de scénarios et une meilleure compréhension des mouvements de population partout au pays, permettrait une plus grande collaboration quant aux besoins en matière de construction. L’approche est semblable au système du gouvernement de l’Autriche, qui organise des réunions pour coordonner l’aménagement de l’espace à l’échelle nationale.
Les gouvernements peuvent démontrer la faisabilité technologique et financière de nouvelles approches en prenant le risque de vérifier quelles idées fonctionnent. La SCHL a été active dans ce domaine grâce à des initiatives comme le Défi d’offre de logement.
Encadré 2 : Leadership international lié à la modélisation des données d’un bâtiment dans la construction de logements publics
Les gouvernements du monde entier exigent de plus en plus le recours à la modélisation des données d’un bâtiment (BIM) dans les logements publics pour améliorer la productivité, la transparence et la gestion à long terme des actifs. Bien que les approches varient, la tendance veut que la modélisation des données d’un bâtiment devienne une pierre angulaire de la transformation numérique de la construction résidentielle.
Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a été un pionnier mondial dans l’adoption de la modélisation des données d’un bâtiment. Depuis 2016, le niveau 2 de la modélisation des données d’un bâtiment est obligatoire pour tous les projets financés par des fonds publics, y compris les logements publics. Les autorités locales et les associations de logement exigent systématiquement la modélisation des données d’un bâtiment afin d’améliorer la coordination des projets, de réduire les coûts liés au cycle de vie et de soutenir les objectifs de développement durable. L’initiative « Digital Built Britain » du Royaume-Uni continue d’élargir le rôle de la modélisation des données d’un bâtiment dans la production de logements.
Singapour
Singapour exige la modélisation des données d’un bâtiment pour tous les nouveaux ensembles résidentiels de plus de 5 000 m², ce qui comprend la plupart des logements publics aménagés par le Conseil du logement et de l’aménagement. L’Autorité du bâtiment et de la construction fournit des guides techniques détaillés et des exigences types en matière de contenu adaptés aux ensembles résidentiels. La modélisation des données d’un bâtiment est au cœur de la stratégie de Singapour sur les villes intelligentes. Elle permet une planification, une construction et une gestion efficaces des installations dans tout son vaste parc de logements publics.
France
La stratégie nationale de construction numérique de la France, y compris le Plan BIM 2022, favorise l’adoption de la modélisation des données d’un bâtiment dans les ensembles de logements publics et sociaux. Le ministère de la Transition écologique appuie l’intégration de la modélisation des données d’un bâtiment pour améliorer le rendement des immeubles, réduire les émissions de carbone et simplifier l’approvisionnement public. Les outils de modélisation des données d’un bâtiment de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques guident les autorités publiques de l’habitation, ce qui contribue à normaliser les pratiques numériques entre les régions.
Travailler ensemble pour augmenter l’offre de logements et améliorer l’abordabilité
La SCHL a toujours insisté sur l’importance d’augmenter l’offre de logements pour favoriser l’abordabilité. L’atteinte de cet objectif exige que tous les gouvernements et le secteur privé travaillent main dans la main. En établissant un cadre stratégique à long terme, les gouvernements ouvriront la voie à davantage d’investissements privés afin d’améliorer la productivité dans le domaine de la construction résidentielle. Cette mesure contribuera à accroître l’offre de logements et à améliorer l’abordabilité du logement pour tout le monde.
Partager par courrier électronique