Selon un rapport de McKinsey (PDF) publié en 2016, l'industrie de la construction demeure l’une des moins numérisées. Parmi les 22 secteurs examinés, la construction occupait l’avant-dernier rang, juste avant... la chasse et l’agriculture. Près d’une décennie plus tard, peu de progrès ont été réalisés dans la construction résidentielle.
Le secteur canadien de l’habitation, coincé dans une ère éternelle de chasseurs-cueilleurs, résiste à la modernisation. Une grande partie de la solution pour numériser notre secteur de l’habitation consiste à prendre de l’expansion afin de générer suffisamment de ressources financières, humaines et technologiques pour innover.
Le Canada peut apprendre des Pays-Bas, dont le secteur du logement a pris de l’envergure, y compris le segment des fournisseurs de logements abordables sans but lucratif.
En 2024, le Canada comptait 40 349 entreprises qui employaient des travailleurs dans l’industrie de la construction résidentielle. Parmi ces entreprises, seulement six avaient plus de 500 employés. La majorité (69,5 %) était des microentreprises comptant de 1 à 4 employés.
La même tendance s’applique au secteur de la gestion de baux immobiliers. Bien que les Statistiques relatives à l’industrie canadienne ne fournissent pas de données précises sur la location résidentielle, les données générales du secteur de la location et de la gestion immobilières sont claires : des 30 099 entreprises qui emploient des travailleurs, 81,4 % comptaient moins de 5 employés. En comparaison, 59,2 % des entreprises de l’ensemble de l’économie entrent dans la catégorie des microentreprises.
Bien qu’il n’y ait pas autant de données sur la taille des fournisseurs de logements sans but lucratif, on peut tirer les mêmes conclusions des données empiriques tirées des principaux acteurs du secteur : selon le Conseil national du logement, les fournisseurs de logements sans but lucratif pourraient tirer parti de l’expansion de leurs activités. La plupart des fournisseurs de logements sans but lucratif au Canada gèrent quelques centaines de logements, contre 1 000 à 2 000 pour les plus grands.
En revanche, les Pays-Bas offrent un modèle différent. Les associations de logements sans but lucratif y gèrent en moyenne 10 000 logements, et les grands organismes en supervisent beaucoup plus, soit jusqu’à 80 000!
Pourquoi est-il si important de prendre de l’expansion pour moderniser notre secteur du logement?
Les entreprises et organismes sans but lucratif d’envergure ont plus de ressources et de capacités que leurs contreparties plus petites. Ray Sullivan, directeur général de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine (ACHRU), traite de cette dynamique dans son billet de blogue intitulé Le logement communautaire a un problème de taille.
Les avantages de la taille vont au-delà de ce que Ray décrit comme la gestion des défis quotidiens sans perturber l’organisation. L’expansion permet aussi aux organismes de logements d’accumuler des fonds et des ressources, en plus de mettre à profit des talents pour construire et fournir les logements de façon novatrice.
Dans le secteur de la construction résidentielle privée, l’expansion peut mener à l’innovation dans les techniques de construction, à l’adoption de nouveaux matériaux et à une augmentation globale de la productivité. Les grands constructeurs, par exemple, peuvent avoir la capacité d’adopter des technologies comme l’intelligence artificielle, qui montre un potentiel pour l’amélioration de la gestion des ressources et la préfabrication automatisée de composants de logements.
Au Canada, la préfabrication est souvent perçue comme novatrice, voire exotique, mais dans d’autres pays, c’est une pratique courante. Par exemple, en Suède, plus de 80 % des habitations comportent au moins un composant préfabriqué. En fin de compte, les grands constructeurs d’habitations ayant un modèle opérationnel fondé sur la technologie peuvent créer une demande de base pour des logements modulaires et préfabriqués. Ces techniques de construction seraient ainsi viables pour un déploiement à grande échelle partout au pays.
Pour les fournisseurs de logements sans but lucratif, l’expansion pourrait réduire la dépendance au financement ponctuel des projets par le gouvernement. Les fournisseurs pourraient ainsi répondre aux besoins en matière de logement plus rapidement et de façon plus autonome.
Les Pays-Bas disposent d’un modèle inspirant. Le secteur est décentralisé dans plusieurs associations et il fonctionne sans subvention directe (PDF). Ces associations financent plutôt la construction résidentielle au moyen des revenus de location et de prêts. Les associations de logements des Pays-Bas conçoivent, financent, construisent et exploitent des ensembles de logements abordables. Elles répondent à un éventail de besoins, qu’il s’agisse de logements fortement subventionnés ou d’options du chaînon manquant.
Il y a des décennies, les gouvernements ont encouragé la consolidation du secteur au moyen de la capitalisation initiale, en s’attendant à ce qu’il devienne autonome au fil du temps. Bien que les gouvernements jouent toujours un rôle dans l’offre de logements abordables aux Pays-Bas, leur participation est plus limitée; ils mettent l’accent sur la prévention des faillites dans le secteur.
Même en cas de difficulté financière, les associations de logements sont les premières à intervenir. Elles ont créé collectivement une caisse d’assurance mutuelle, c’est-à-dire un filet de sécurité financière partagé, pour soutenir les associations en difficulté. Les gouvernements n’interviennent que si cette caisse est insuffisante, les administrations municipales étant les deuxièmes à offrir du soutien.
Aux Pays-Bas, le gouvernement national peut être appelé à intervenir comme ultime bailleur de fonds. Il n’offre son appui que si la caisse d’assurance mutuelle et les administrations municipales ne disposent pas de fonds suffisants pour éviter la faillite d’une association. Imaginez ce qui pourrait être accompli si le Canada tirait parti de sa cote de crédit AAA pour renforcer et élargir le secteur du logement sans but lucratif!
Expansion du secteur de l’habitation : que peut en tirer la population canadienne?
La consolidation et l’expansion du secteur privé de la construction résidentielle profiteraient d’abord à la population canadienne en accélérant l’offre de logements. Comme le montre la recherche de la SCHL, il faut doubler le rythme actuel des mises en chantier d’habitations. Il est donc essentiel de raccourcir les délais de construction.
À l’heure actuelle, l’adoption de l’intelligence artificielle dans le secteur de la construction résidentielle met l’accent sur la réduction des délais de traitement. Au fil du temps, elle pourrait aussi entraîner d’importantes économies. Par exemple, l’intelligence artificielle peut optimiser les plans de construction afin de maximiser l’utilisation de bois d’œuvre standard de 10 pieds, ce qui réduit les déchets et le temps consacré à la charpente. D’autres outils d’intelligence artificielle peuvent estimer et planifier plus précisément les besoins en matériaux, ce qui réduit l’approvisionnement en matériaux excédentaires et améliore davantage l’efficacité.
La consolidation et l’expansion du secteur du logement sans but lucratif profiteraient à la population canadienne en réduisant la dépendance aux subventions gouvernementales pour le logement abordable. Le modèle des Pays-Bas démontre qu’il est possible de donner à un secteur la capacité d’offrir un éventail d’options de logement abordable avec un engagement financier minimal des gouvernements.
Cette approche réduit la dépendance à l’égard de l’argent des contribuables et accroît la capacité des organisations à répondre rapidement aux besoins en matière de logement. En simplifiant les processus administratifs et en réduisant au minimum le nombre d’organisations qui participent au financement d’un projet, le secteur peut répondre plus efficacement à la demande.
Pour mener à bien ce changement, il faudrait d’abord permettre aux organismes sans but lucratif de tirer parti des capitaux propres de leurs actifs actuels pour construire des ensembles de logements abordables et faciliter ce processus. Cette mesure débloquerait des millions de dollars en capital dormant. Bien que certains organismes sans but lucratif le fassent déjà, la vaste majorité d’entre eux se heurtent à des obstacles liés aux programmes ou aux contrats.
Le gouvernement du Canada cherche à doubler le rythme des mises en chantier d’habitations, à tirer parti de l’intelligence artificielle et des technologies pour stimuler la productivité, et à établir une situation budgétaire plus durable. Le moment est venu pour le secteur de l’habitation de relever le défi. Il pourrait s’agir de créer une demande de base pour les logements modulaires et préfabriqués par l’intermédiaire du nouvel organisme Maisons Canada, ou encore d’encourager le regroupement d’organismes sans but lucratif au moyen d’initiatives et de financement gouvernementaux ciblés.
Comme le gouvernement fédéral met l’accent sur les logements modulaires et préfabriqués, la question est la suivante : Quelles mesures les constructeurs d’habitations et les fournisseurs de logements sans but lucratif prennent-ils pour être prêts à monter dans ce train?