Notes d’allocution pour Romy Bowers, Présidente et premiere dirigeante, Société canadienne d’hypothèques et de logement
Toronto (Ontario)
Seul le texte prononcé fait foi
Merci pour cette introduction, et merci de m’avoir invitée à cet évènement.
Le thème de ce sommet est « Partenariat pour la prospérité ». Ce message profond de seulement quatre mots s’applique particulièrement bien au secteur du logement.
En effet, l’abordabilité du logement est directement liée à la prospérité. Les analyses, recherches et travaux pratiques que nous réalisons à la SCHL nous mènent à la même conclusion : un partenariat, c’est-à-dire une collaboration plus large et plus intense qui transcende les obstacles habituels, est nécessaire pour rendre le logement de nouveau abordable dans l’ensemble du pays.
La bonne nouvelle, c’est que nous entrevoyons des occasions de partenariats du meilleur type qui soit, des partenariats gagnant-gagnant, pour assurer la prospérité générale.
Mais je ne veux pas donner l’impression que cet objectif est facile à atteindre, car il ne l’est pas. Il reste encore beaucoup à faire pour réaliser l’abordabilité du logement. De plus, même des partenariats gagnant-gagnant peuvent se compliquer et exiger beaucoup de travail.
Je n’ai probablement pas besoin de vous expliquer que le logement est l’un des plus grands problèmes auxquels la population canadienne doit faire face aujourd’hui. La discussion sur la crise du logement est au cœur de l’actualité.
À la SCHL, nous voyons deux crises du logement distinctes.
La première touche les personnes les plus vulnérables, qui ont du mal à répondre à leurs besoins de base en matière de logement. La seconde touche les personnes à revenu moyen, qui sont presque dans l’incapacité de se payer un logement du marché.
Le coût du logement continue d’augmenter plus rapidement que les revenus, et ce, depuis des décennies.
Ce constat est particulièrement vrai pour les locataires.
Notre dernier Rapport sur le marché locatif a révélé qu’à l’extérieur du Québec, il est presque impossible de trouver des logements réellement abordables, c’est-à-dire des logements dont le loyer serait inférieur à 30 % du revenu brut, pour les personnes dont le revenu est le plus faible.
Tout le monde le sait, les problèmes de logement au Canada sont une menace importante pour notre économie globale.
En effet, ils menacent la capacité de nos entreprises à attirer des talents et à les maintenir en poste. De plus, les talents que nous attirons doivent être mieux rémunérés pour couvrir leurs frais de subsistance.
Les prix élevés des logements nous empêchent d’investir dans des segments plus productifs de l’économie, le logement étant une catégorie d’actif à très faible productivité.
Bien sûr, ces prix élevés sont attribuables à la hausse globale des coûts de l’immobilier, qui en outre ralentit les entreprises. Un rapport récent du FMI traite des répercussions économiques des prix élevés des logements. Il indique qu’ils forcent les petites et moyennes entreprises à investir davantage dans leur présence physique et moins dans des actifs plus productifs.
C’est la raison pour laquelle le Canada affiche le plus haut niveau d’endettement des ménages des pays du G7, 75 % de cet endettement étant lié aux prêts hypothécaires. Il s’agit d’un grand risque macroéconomique auquel nous sommes confrontés en tant que pays.
Nous avons mis en place des mesures de protection financière – je pense ici à la simulation de crise visant les taux hypothécaires, entre autres politiques – pour veiller à ne pas nous retrouver submergés collectivement. Notre marché du travail demeure vigoureux, même en présence de vents contraires sur le plan économique. Mais si cette situation devait changer et que nous commencions à constater des pertes d’emplois, ce niveau d’endettement élevé amplifierait les conséquences.
Quelles sont les raisons sous-jacentes à ces deux crises?
D’abord et avant tout, le déséquilibre entre l’offre et la demande.
Si nous comparons encore une fois notre situation à celle des autres pays du G7, ce n’est peut-être pas une coïncidence si le Canada affiche le plus faible nombre de logements par habitant.
Nous ne créons pas assez de logements pour répondre à la demande, et ce, depuis longtemps.
Nos recherches montrent à quel point cet écart est important.
La SCHL a analysé le nombre de logements que le Canada devrait construire d’ici 2030 pour espérer atteindre l’abordabilité pour tout le monde.
Si le rythme actuel de la construction se poursuit, nous aurons créé 19 millions de logements d’ici 2030.
On pourrait se réjouir de ce chiffre élevé, mais le Canada doit en fait créer 22,5 millions de logements d’ici cette date pour revenir à une situation où le logement serait à un niveau abordable.
La différence représente un manque à gagner de 3,5 millions de logements, surtout concentré en Ontario et en Colombie-Britannique.
Jusqu’à présent, l’offre créée ne parvient pas à répondre à cette demande refoulée, et ce, pour différentes raisons.
Les acteurs du secteur de la construction eux-mêmes indiquent qu’ils n’ont tout simplement pas la capacité de le faire.
En raison des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, des pénuries de main-d’œuvre et de la hausse du coût des matériaux, les promoteurs privés disent qu’ils ont du mal à accélérer la construction à un rythme qui permettrait de répondre aux besoins du Canada. Et les programmes de financement les plus généreux au monde ne peuvent pas tout résoudre.
Les promoteurs doivent donc en faire plus avec moins.
Pourtant, au cours des dernières années, notre secteur de la construction a été moins productif que d’autres secteurs.
Nous avons besoin d’une réelle innovation dans la construction résidentielle au Canada. Nous ne pouvons tout simplement pas continuer à agir comme nous le faisons depuis des décennies.
Mais tout ne peut pas reposer sur les épaules des promoteurs.
Par exemple, ce ne sont pas seulement eux qui décident quoi construire et quand. Les règlements sur la construction varient d’une municipalité à l’autre, et certains sont plus stricts que d’autres.
D’après une enquête récente de la SCHL, plus la réglementation globale de l’utilisation des terres est stricte dans les collectivités, moins le logement y est abordable. Un niveau de réglementation élevé est associé à de longs délais d’approbation pour les nouveaux aménagements, ce qui peut faire augmenter le coût des ensembles résidentiels.
Mais si nous regardons plus loin, au niveau national et même international, nous constatons qu’une inflation forte et persistante et les taux d’intérêt élevés qui en résultent font monter le coût des ensembles de logements, comme pour d’autres aspects de l’économie.
Je me rends compte que je ne vous brosse pas un tableau très réjouissant. Et c’est délibéré. Nous n’avons aucun intérêt à enjoliver la situation. Nous sommes face à une urgence incontestable.
Mais je peux dire que nous, en tant que pays, faisons des progrès dans la bonne direction. Nous avons de bonnes raisons d’espérer que nous pourrons aller plus loin, plus rapidement. Pour ce faire, nous devons travailler ensemble et nouer des alliances aussi fortes que celles que nous avons nouées pendant les deux guerres mondiales.
Croyez bien que je ne cherche pas à dramatiser. La SCHL a été créée après la Seconde Guerre mondiale pour aider les anciens combattants qui revenaient au pays à trouver un logement. C’est ce genre de projet national, concerté et participatif dont nous avons besoin si nous voulons rendre le logement à nouveau abordable.
Le gouvernement fédéral a prévu d’investir plus de 82 milliards de dollars par la Stratégie nationale sur le logement, sous la forme de différentes initiatives prometteuses qui abordent la pénurie de logements sous tous les angles.
Au-delà de cette stratégie, nous adoptons une approche pangouvernementale à l’échelle fédérale, en mettant à profit d’autres ressources, d’autres partenariats.
Par exemple, pas plus tard que cette semaine, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a annoncé un ensemble de nouvelles mesures liées à l’immigration.
Elles comprennent, notamment, l’intégration de la planification du logement, des soins de santé et des infrastructures dans la planification des niveaux d’immigration au Canada.
Par exemple, nous allons utiliser la sélection par catégorie pour attirer plus d’immigrants qui peuvent nous aider à construire les logements dont nous avons besoin.
Cependant, comme je l’ai dit il y a un instant, le gouvernement fédéral n’a pas accès à tous les leviers qui contrôlent l’abordabilité du logement au Canada. La plupart d’entre eux relèvent de la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi que des administrations municipales. Ils ont par exemple la responsabilité des politiques d’utilisation des terres, des permis et des relations entre les locataires et les propriétaires-bailleurs.
Je me réjouis de pouvoir affirmer que de réels progrès ont été réalisés à cet égard. Plus tôt cette année, le gouvernement du Canada a commencé à mettre en œuvre des ententes avec les municipalités dans le cadre du Fonds pour accélérer la construction de logements.
Cette initiative, mise en œuvre par la SCHL, permet au gouvernement fédéral de travailler directement avec les municipalités pour éliminer une partie des formalités administratives réglementaires.
Les ententes précisent le nombre de logements qui seront créés, mais le résultat réel est le changement systémique. Ces ententes modifient la façon dont les villes construisent des habitations et devraient ainsi continuer à porter leurs fruits bien au-delà de leur durée et de celle du programme.
Et pourtant, les ordres de gouvernement ne seront pas les seuls à jouer un rôle.
Leur rôle est de fournir une assise et d’élaborer des politiques permettant de résoudre nos problèmes actuels : cerner les besoins, développer des mesures incitatives et encadrer le contexte commercial.
Mais la force motrice viendra du secteur privé et de sa capacité à financer, explorer et opérationnaliser.
J’ai mentionné plus tôt que nous devons construire 3,5 millions de logements supplémentaires d’ici 2030. Selon nos dernières recherches, la construction d’autant de logements devrait coûter un billion de dollars.
C’est plus que ce que les gouvernements ne pourront jamais dépenser. Nous devons donc travailler avec le secteur privé.
Pour ce faire, nous devons aider le secteur privé à trouver des façons inédites et plus efficaces de répondre à la demande.
Comme je l’ai dit, dans cette optique, l’innovation sera un facteur important.
Les nouvelles méthodes, comme la construction modulaire et par panneaux, sont très prometteuses et aident le secteur à en faire plus avec moins. Elles accélèrent le temps de construction, nécessitent moins de main-d’œuvre et réduisent également les déchets.
Fin 2023, la SCHL a lancé un appel de candidatures pour le quatrième cycle de son Défi d’offre de logement. Ce cycle, appelé « Bâtir pour l’avenir », vise à rechercher de nouvelles idées de ce type, puis à les mettre en incubation. Les candidatures retenues seront annoncées l’an prochain.
Ce défi est une petite façon pour nous de contribuer à ce processus. Mais nous devons aussi faire preuve d’un plus grand leadership à l’échelle fédérale.
Sean Fraser, notre nouveau ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, apporte une nouvelle vision pour rendre le logement abordable.
Parmi les idées qu’il a mentionnées figure la nécessité de changer la donne pour les promoteurs.
C’est une excellente façon de tirer parti de notre partenariat avec le secteur privé : trouver des moyens d’aider le marché et le secteur privé à répondre à la demande.
Il s’agit de chercher des solutions gagnant-gagnant : apprendre comment nous pouvons aligner nos intérêts afin que le type de logement dont le Canada a besoin soit aussi le type de logement qui a du sens pour les promoteurs.
C’est donc vraiment une question de partenariat. Il convient de trouver de nouvelles façons de travailler ensemble et d’approfondir ces relations.
Dans cette optique, la SCHL joue un rôle essentiel de facilitation. Notre position unique en tant que société d’État fédérale signifie que nous pouvons réunir toutes ces parties prenantes (les gouvernements et les acteurs des secteurs privé, sans but lucratif et communautaire) – et c'est ce que nous faisons.
Nous le faisons parce que l’union fait la force! Et aussi parce qu’il n’y a pas de solution miracle ni universelle qui nous donnera les résultats que nous attendons.
Nous avons besoin de toutes les idées. Tout le monde doit mettre la main à la pâte pour améliorer le système de logement, d’une façon qui profitera à tout le monde.
Ce qui m’amène à la grande question de mon intervention : un appel à l’action.
Je vous demande de nous faire part de vos idées, et je le demande à tout le monde, pas seulement aux personnes liées au secteur de l’habitation.
Comment pouvez-vous tirer parti de votre expertise, de votre capacité d'innovation et de votre expérience pour nous aider à trouver les solutions novatrices dont nous avons besoin? Avez-vous des idées de progrès techniques et de nouveautés qui soutiendront l’accélération majeure de la construction de logements dont notre pays a grandement besoin? Imaginez-vous des façons de les développer qui sont adaptées à notre réalité présente et tournées vers l’avenir?
Nous avons travaillé sur des projets avec toutes sortes de partenaires – des projets qui nous aident à prospérer ensemble.
Par exemple, nous participons à un projet dirigé par la Banque de Montréal et Centraide du Grand Toronto, appelé Inclusive Local Economic Opportunity, ou ILEO. Ce projet réunit de nombreux secteurs afin de trouver des moyens novateurs de créer une prospérité économique plus inclusive dans le Greater Golden Mile de Toronto. Nous travaillons avec ILEO sur un éventail d’initiatives, y compris des projets pilotes reproductibles ou adaptables à d’autres quartiers.
Nous sommes également fiers de notre nouveau partenariat avec Keewaywin, une société d’investissement autochtone. Elle consacre désormais une partie de son financement à la construction de logements pour les populations autochtones dans les réserves et hors réserves.
Pour les personnes ici présentes qui ont un lien avec le secteur de l’habitation, jetez un coup d’œil aux programmes que la SCHL offre. Voyez si certains d’entre eux vous aideraient à atteindre vos objectifs. Nous croyons vraiment que tout le monde peut y trouver son compte.
Et si ce n’est pas le cas, dites-nous ce dont vous avez besoin. Nos spécialistes sont curieux de découvrir vos souhaits et vos idées.
L’abordabilité du logement n’est pas un problème seulement pour une partie de la population canadienne. C’est un problème pour tout le monde.
Des gens partout dans le pays ont du mal à répondre à leur besoin fondamental de trouver un logement et d’y rester. Leurs histoires sont difficiles, et je ne pouvais pas espérer leur rendre justice en les racontant ici.
Mises bout à bout, ces histoires constituent une menace macroéconomique pour notre pays.
Je ne vous demande pas de vous soucier du logement pour jouer les bons samaritains, même si je sais que bon nombre d’entre vous ont cet élan. Je vous demande de vous en préoccuper en tant que dirigeants d’entreprise.
Je ne peux imaginer des leaders plus novateurs et entreprenants que vous, qui êtes présents aujourd’hui à ce Sommet.
Le défi à relever est énorme. Mais les dirigeants d’entreprise comme vous savent que nous réussissons en transformant les défis en occasions.
Une crise est une occasion de faire les choses différemment. C’est une occasion d’innover et d’établir de nouveaux partenariats.
Rassembler des gens qui ne se réunissent habituellement pas au nom de l’innovation est exactement l’objectif de sommets comme celui-ci.
Je vous demande donc de profiter de cette occasion pour canaliser une partie de cette énergie et la diriger vers le logement.
Orientez-la vers les situations agnant-gagnant qui n’attendent qu’à se manifester.