Notes d’allocution pour Evan Siddall, président et premier dirigeant de la Société canadienne d’hypothèques et de logement
Fairmont Chateau Whistler
Whistler (Colombie-Britannique)
Seul le texte prononcé fait foi
Merci Deep [Shergill] et bonjour à tous. Merci pour votre accueil chaleureux et de me donner l’occasion de dire quelques mots ce matin.
J’ai eu de bonnes discussions avec Deep et Kevin Lee. Ils m’ont parlé de la relation étroite qui s’est établie entre l’ACCH et la SCHL au fil des ans. J’ai hâte de mettre à profit cette relation avec votre nouveau président, Bard Golightly.
J’aimerais vous parler ce matin du système de financement de l’habitation au Canada, qui est indispensable à la santé de votre industrie. Plus précisément, j’aimerais répondre à la question: Pourquoi la SCHL? Le Canada a-t-il vraiment besoin qu’une société d’État fédérale participe de manière aussi directe au système de financement de l’habitation?
Pour répondre à cette question, il faut retourner quatre ou cinq ans en arrière, au moment de la crise mondiale du crédit et de la récession qui ont frappé les économies de partout dans le monde. Le Canada ne s’en est pas sorti indemne, mais nous avons été moins touchés que la plupart, et la Société canadienne d’hypothèques et de logement y est pour beaucoup.
Cela nous indique qu’aux États-Unis, où la récession a été durement ressentie, l’habitation faisait partie du problème, alors qu’au Canada, elle a été source de vigueur. Cette divergence existe même si nos systèmes partagent des résultats semblables: l’accession à la propriété au Canada se situait à 69% en 2011, alors qu’aux États-Unis elle s’établissait à 66,2%.
Notre situation est peut-être similaire, mais la manière dont le gouvernement soutient le financement de l’habitationrepose sur des modèles très différents.
Vous avez entendu parler de Fannie Mae et Freddie Mac, les deux sociétés soutenues par le gouvernement dont les modèles d’affaires mal conçus, combinés à une détérioration des normes de souscription de prêts hypothécaires et des lois relatives aux prêts hypothécaires sans recours, ont déclenché l’effondrement des marchés de l’habitation aux États-Unis. Cet effondrement a presque mené directement à un écroulement du système financier mondial, et nous continuons à en payer le prix aujourd’hui.
En raison d’une souscription peu rigoureuse, les prêteurs d’un bout à l’autre des États-Unis approuvaient régulièrement des prêts hypothécaires à risque ou ninja. Un prêt «ninja» est un prêt consenti à un emprunteur sans revenu, sans emploi et sans actifs. Un commentateur américain a dit qu’au cours de la période qui a mené à l’effondrement, tout ce dont un demandeur avait besoin pour obtenir un prêt hypothécaire aux États-Unis était de montrer qu’il était capable de respirer. Bon nombre de ces prêts à risque ont ensuite été titrisés – ou achetés, si vous préférez – par Fannie et Freddie.
Lorsque la récession a frappé et qu’un grand nombre de propriétaires se sont retrouvés en situation de défaut, Fannie et Freddie ont dû en assumer les conséquences. Mais le gouvernement américain a décidé que ces deux sociétés étaient «trop importantes pour s’effondrer» et il s’en est mêlé, investissant en fin de compte des centaines de milliards de dollars dans Fannie et Freddie afin qu’elles puissent poursuivre leurs activités et aider à stabiliser le marché de l’habitation.
Au Canada, plutôt que de faire partie du problème, notre société d’État – la SCHL – a aidé à stabiliser les marchés de l’habitation et le système de financement de l’habitation. Notre Programme d’achat de prêts hypothécaires assurés a aidé à fournir aux banques canadiennes la liquidité nécessaire pour mener leurs activités, alors que les banques partout dans le monde vendaient leurs actifs au rabais pour demeurer solvables.
La crise financière a eu lieu en 2008, et les mises en chantier au Canada l’année suivante ont atteint un creux, s’établissant à 80% de la moyenne historique. Aux États-Unis, en revanche, les mises en chantier – qui étaient déjà sur le déclin – ont atteint leur point le plus bas à environ 40% de la moyenne historique. Au pic de la crise, le taux de prêts en souffrance se situait juste au-dessus de 5% aux États-Unis, par rapport à moins de 0,5% au Canada.
Les mises en chantier aux États-Unis sont à la hausse depuis 2010, mais l’an passé, elles se situaient toujours à 63% de leur moyenne historique. Au Canada, les mises en chantier en 2013sont demeurées près de la moyenne historique et le taux des prêts en souffrance était faible et stable à 0,32%, selon l’Association des banquiers canadiens.
La présence stabilisatrice de la SCHL pendant la crise a joué un rôle clé dans l’écart de rendement entre les deux systèmes de logement. La SCHL n’a pas eu besoin d’être renflouée, nous avons joué un rôle essentiel dans la réaction efficace et fructueuse du Canada à la crise de liquidité. Plus important encore, nous avons continué à offrir de l’assurance prêt hypothécaire aux acheteurs admissibles au moment où les assureurs privés se retiraient du marché.
C’est pourquoi je m’oppose à la notion spontanée selon laquelle la SCHL est une simple version canadienne de Fannie et de Freddie, et que c’est la chance, plus que la conception, qui explique l’écart dans le rendement des deux systèmes de logement. Rien n’est plus contraire à la vérité.
Il existe des différences fondamentales entre nos pratiques en matière de financement de l’habitation bien sûr, mais aussi le modèle d’affaires de la SCHL et ceux de Fannie et Freddie. J’aimerais en souligner certaines ce matin.
Comme je l’ai dit plut tôt, le modèle d’affaires de Fannie et Freddie était fondamentalement mal conçu dès le départ. La méfiance des États-Unis à l’égard de la propriété publique a aveuglé les décideurs, qui n’ont pas remarqué les problèmes inhérents à leur façon d’aborder les affaires.
Fannie et Freddie étaient des sociétés privées axées sur les profits – et bien sûr il n’y a rien de mal à ça. Mais elles avaient aussi un mandat d’intérêt public, qui était d’accroître l’accession à la propriété, notamment chez les emprunteurs à faible revenu et les autres groupes à risque élevé. En effet, à partir de la promulgation de la Community Reinvestment Act en 1977, les deux organismes ont rempli ce mandat avec vigueur.
Ce mandat public a donné l’impression que le gouvernement appuyait implicitement Fannie et Freddie. Le problème avec une garantie implicite est qu’elle transfère les risques éventuels aux contribuables sans donner au gouvernement la capacité de contrôler et d’atténuer ces risques ou d’être compensé pour les avoir assumés.
Selon notre modèle, le gouvernement du Canada assume explicitement le risque lié aux prêts hypothécaires assurés et titrisés, mais a également la capacité d’établir les règles et est compensé adéquatement pour avoir pris ce risque.
L’appui implicite du gouvernement à Fannie et Freddie a créé un risque moral dans le système de financement de l’habitation des États-Unis. Il a ainsi permis à une partie de prendre des risques tout en sachant que les coûts éventuels seraient assumés par d’autres. Pire encore, prendre des risques avec l’argent des autres est à ce point tentant que Fannie et Freddie avaient en réalité un incitatif économique pour leur mauvaise conduite. Il s’agit de la perversion fondamentale appelée «risque moral».
Dans ce cas-ci, Fannie et Freddie ont été en mesure d’utiliser la garantie gouvernementale implicite pour amasser des fonds à faible coût – économisant environ un demi-point de pourcentage sur des billions de dollars – ce qui a permis aux deux sociétés de tirer des avantages financiers importants.
Malheureusement, tous les avantages n’ont pas été utilisés pour mener à bien le mandat public en diminuant les coûts des prêts hypothécaires pour les emprunteurs ou pour permettre aux entreprises d’amasser suffisamment de capitaux pour se prémunir contre les obstacles.
Fannie Mae, par exemple, a gardé au moins le tiers de ces économies – des milliards de dollars par année – et les a utilisées pour récompenser ses actionnaires, rémunérer grassement ses cadres et, plus étonnant encore, faire du lobbying auprès des politiciens afin de contrecarrer les efforts visant à renforcer la surveillance réglementaire. Ce modèle d’affaires récompensait la prise de risques excessifs et était un château de cartes prêt à s’écrouler.
Sans surveillance claire et efficace, Fannie et Freddie ont été en mesure d’élargir de façon continue leur portée, créant ainsi des institutions financières monstres sous le couvert de l’objectif public de fournir des logements abordables.
En raison de la faiblesse de leurs fondations, ces institutions n’ont pas été en mesure de survivre par elles-mêmes. Lorsque la conjecture favorable a pris fin en 2008, les murs se sont écroulés. Ayant été renflouées d’un montant de près de 200 milliards de dollars américains, Fannie et Freddie commencent à peine à être de nouveau rentables. Les modèles de marché libre sans entraves se sont avérés inappropriés dans le cas de ces entités «trop grosses pour s’effondrer». En fait, même les banques privées étaient surveillées beaucoup plus étroitement – par la «Fed» (Réserve fédérale américaine), l’OCC (Office of the Comptroller of the Currency), la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) et d’autres – que ces sociétés synonymes de risques.
Le mandat de la SCHL, en revanche, n’est ni ambigu ni contradictoire. Notre objectif d’intérêt public est de fournir de l’assurance prêt hypothécaire aux emprunteurs admissibles dans tous les coins du pays, notamment dans les marchés ruraux et de petite taille, et pour tous les types d’habitations, comme les grands ensembles de logements locatifs, les immeubles construits expressément pour les étudiants, les centres d’hébergement et les résidences pour personnes âgées.
Notre principal objectif n’est pas de faire des profits, mais nous exploitons nos programmes de financement de l’habitation sur une base commerciale. En tant que société d’État, nous visons à obtenir un taux raisonnable de rendement dans le cadre de notre mandat. En fait, au cours des 10dernières années, la SCHL a contribué à la réduction du déficit cumulé du Canada à hauteur de 17milliards de dollars.
Cela m’amène à poser une autre question: La SCHL est-elle, comme Fannie et Freddie, «trop grosse pour s’effondrer»? À cela, je répondrai que nous sommes certainement trop importants pour le système de financement de l’habitation du Canada pour nous effondrer. Nous avons donc une responsabilité sacrée d’éviter que ça se produise. Nous sommes soumis à la supervision active du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, de même qu’à la surveillance du ministre de l’Emploi et du Développement social et du ministre des Finances.
C’est pourquoi nous sommes aussi prudents dans la souscription de l’assurance prêt hypothécaire. C’est la raison pour laquelle nous n’assurons pas et ne titrisons pas de prêts hypothécaires à risque, et que nous n’en détenons pas à des fins de placement. C’est aussi pourquoi nous conservons actuellement plus de deux fois et demie le capital minimal requis par le BSIF.
Vous aurez probablement deviné que je suis d’avis que le modèle canadien est meilleur que celui de Fannie et Freddie. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons faire mieux encore. Nous devons être prêts à surmonter les difficultés économiques ou autres que nous réserve l’avenir, ce qui nous motive à surveiller de près nos activités.
Nous devons également évaluer si la dette des consommateurs croît trop rapidement et si les investissements dans le logement détournent des ressources du secteur commercial et ralentissent la croissance de la productivité.
Les programmes d’assurance prêt hypothécaire et de titrisation de la SCHL sont des éléments clés sur lesquels reposent la stabilité et l’efficacité du système de financement de l’habitation du Canada. Mais ces programmes doivent être offerts de façon à diminuer l’exposition des contribuables et à autoriser le précieux arbitrage que procure une saine concurrence.
Comme vous le savez, nous avons annoncé récemment une augmentation des primes d'assurance de portefeuille et d’assurance prêt hypothécaire pour propriétaires-occupants. Les primes plus élevées tiennent compte de nos cibles de capital accrues, ce qui réduira encore plus l’exposition des contribuables canadiens au marché de l’habitation et favorisera la stabilité à long terme du système financier. On ne s’attend pas à ce que ces augmentations aient une incidence significative sur le marché de l’habitation ou les constructeurs.
Nous examinerons nos programmes d’assurance prêt hypothécaire et de titrisation afin de voir quelles autres améliorations peuvent être apportées afin de réduire l’exposition des contribuables tout en favorisant le fonctionnement efficace continu du marché du financement de l’habitation et une meilleure concurrence sur celui-ci.
Nos activités changeront d’autres façons également. Il est trop tôt pour dire comment, mais je peux vous assurer que les changements seront réfléchis, mesurés et dans le meilleur intérêt des Canadiens.
Les constructeurs d’habitations canadiens ont fait confiance à la SCHL par le passé. Je vous demande de continuer à le faire à l’avenir.
Encore une fois, merci de votre hospitalité. Je vous souhaite une excellente année 2014.